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lundi 15 février 2010

La musique du présent d'un futur passé

Nous vivons dans une temporalité passablement distordue depuis les années 60. Quand on y pense, c'est à peine croyable: entre 1960 et 2010, 50 ans se sont écoulés, soit autant qu'entre 1960 et 2010. Mais parce qu'on ne cesse de revenir aux années 60, parce que les archives sont nombreuses et que toute une génération bruyante, nombreuse et omniprésente ne cesse de les mettre en valeur, on a l'impression que ces 50 ans représentent un écart beaucoup moins grand que celui qui sépare 1960 de 1910. 1960-2010: les Beatles commencent à écrire leurs premières chansons et beding dedang le punk, le hip hop et Lady Gaga. 1910-1960: Dada est même pas encore inventé. Dada, PAS inventé! Le jazz, à peine! Même pas de guerre mondiale! La Recherche du temps perdu même pas publiée! Même pas finie d'écrire! 1910! Fuck. C'est juste étrange.

Pour cette raison, le présent a l'air de durer indéfiniment. Nous ne savons plus mesurer le passé et aussi longtemps que nous ne vivrons dans cette temporalité, nous demeurerons incapables de mesurer l'avenir. Parce que c'est important l'avenir dans la vie. Et nous devons faire quelque chose pour en reprendre le contrôle.

C'est la raison pour laquelle des concepts comme le rétro-futurisme me semblent aujourd'hui nécessaires. Le rétro-futurisme, c'est pas compliqué, c'est comme le futur antérieur, c'est une image de ce qu'aura été l'avenir pour une époque passée, c'est une image de l'avenir qui commence à craquer, à jaunir et qui par là nous permet de voir que l'époque d'où elle provient ne constitue plus pour nous un présent. Cette idée a l'air simple lorsque nous pensons à Jules Verne, à l'intérieur capitonné de la fusée décrite dans De la terre à la lune, décoré avec tout le chic d'un appartement bourgeois du dix-neuvième siècle et on trouve ça infiniment drôle et charmant. Mais le rétro-futurisme devient plus révélateur à mesure que nous nous approchons de cette temporalité engourdie dans laquelle nous vivons depuis les années 60. L'intérieur des capsules Apollo? Oui, c'est encore drôle et charmant, avec tous ses commutateurs en métal, ses gros voyants lumineux et ses même pas d'ordinateurs. Mais pourquoi ne pas aller plus loin et considérer tout ce que l'ère spatiale a de foncièrement rétro à la fois dans son esthétique et dans son projet? Envoyer des gens dans l'espace, quelle idée étrange finalement, depuis qu'on est en mesure d'envoyer des sondes robotisées pour faire le travail à notre place. Et on envoie des gens dans l'espace pour quoi faire? Pour faire des expériences qui ont franchement l'air dénuées de sens comme faire pousser des pois, ou cultiver des bactéries, ou je sais pas quoi. Ç'a toujours l'air de projets d'expo-science quand ils en parlent.

Je pense à ça parce que jusqu'au 20 février sur ce site, Soma FM, on peut écouter en direct toutes les communication entre l'équipage de la navette Endeavour et le centre de contrôle, et ce, sur un fond de techno ambiant tout droit sorti des années 90. Tout est mixé en direct et en continu, 24h sur 24, mais pour vraiment en profiter, il faut écouter en soirée, c'est à ce moment que l'activité des astronautes est la plus forte. Le matin et l'après-midi, ils dorment. On peut consulter l'horaire du plan de vol ici. Le résultat est extraordinairement rétro-futuriste en même temps que la distance qui nous sépare de cette époque est minimale. Musicalement parlant, les années 90, même si ça fait déjà 20 ans, on n'a pas encore commencé à en mesurer la distance; et scientifiquement non plus, on ne se sent pas du tout éloignés de cette époque de l'ère spatiale qui se termine avec le retrait des orbiteurs américains. Mais dès qu'on commence à écouter ce mix complètement malade, la distance historique nous apparaît avec d'autant plus de violence qu'il ne pourrait pas se dérouler plus en direct. La qualité horrible des communications, qu'on dirait tout droit sorties de radio transmetteurs de la Deuxième Guerre mondiale, alliée au techno ambiant, qui est peut-être le dernier genre musical résolument tourné vers la contemplation d'un avenir utopique, tout ça fait apparaître immédiatement à quel point nous sommes en train de prendre nos distance avec cette vision dépassée du futur, d'un avenir finalement hypercolonialiste où la technologie contribuait à l'expansion du territoire de l'Homme s'enfonçant courageusement dans le vide et les ténèbres silencieuses de l'espace intersidéral pour aller jusqu'aux confins de l'infini... y faire pousser un plant de pois.

Mais nous, nous qui avons quitté cette époque, quel est alors notre avenir? Ce n'est vraisemblablement plus celui des découvertes scientifiques dont on attend aujourd'hui moins des miracles que des petites améliorations à notre qualité de vie. Ce n'est plus non plus celui du vivre ensemble, d'un socialisme égalitaire, du partage des richesses, d'une révolution des mentalités ou même du "concert des nations" où chaque pays aurait droit de parole dont plus personne dans le monde entier ne rêve sinon les derniers indépendantistes du Parti québécois. Nous n'avons plus finalement de conception artistique de l'avenir. Plus personne n'attend de révolution esthétique, la musique, les arts et la littérature sont entrés dans une logique du recyclage et de la récupération autrement plus riche et intéressante que celle de la recherche obstinée du nouveau et de la rupture. Mais quel est alors notre avenir? Nous n'avons apparemment pas d'avenir. Nos têtes sont vides de ces villes futuristes avec des architectures pleines de sphères et de tuyaux de communication; nos têtes sont vides de voitures volantes; nos têtes sont vides de jumpsuits monochromes moulants et de musique étrange; nos têtes sont vides de toute image. Et quand je mourrai, le plus tard possible j'espère, disons dans les années 70, je ne pense pas que la ville de Montréal sera foncièrement différente, ni l'art, ni les relations humaines, ni rien. Parce que comme toute une génération, je suis prisonnier d'un inconscient millénariste qui a vu s'approcher et s'éloigner le tournant de l'an 2000 sans qu'aucun événement ne semble changer radicalement le cours des choses. Même après le 11 septembre 2001, cet événement millénariste que tout le monde attendait, même les plus radicaux en matière de ne plus rien attendre : on n'arrêtait pas de dire que "le monde ne sera plus jamais le même", on espérait secrètement une troisième guerre mondiale qui sortirait la gauche, les intellectuels, les artistes et les révolutionnaires de leur torpeur du présent et on se retrouve aujourd'hui avec un état policier global et complètement paranoïaque dans lequel nous sommes tous des terroristes potentiels dès qu'on prend l'avion ou qu'on sort un appareil photo en public et personne ne fait rien contre ça, personne ne voit que c'est complètement cinglé, que nous vivons effectivement dans le futur, mais que ce futur ne nous appartient pas parce que c'est l'avenir dystopique d'une autre époque. Et cette situation est présentement notre seul horizon à nous, les engourdis du présent.

Que faire alors? Je sais pas. En tout cas moi pour essayer d'y voir plus clair dans cette temporalité de marde où nous sommes pris, je reste chez moi en écoutant sur Soma FM la musique du présent d'un futur passé. Et dans un autre ordre d'idée, je demeure quand même fasciné de travailler à mes petits contrats de correction pour OVNI que j'ai à terminer en écoutant des gens qui exactement en même temps vissent des boulons spatiaux à fucking 350 km au-dessus de ma tête.

Lien vers le mix continu de la mission spatiale Soma FM. C'est jusqu'au 20 février, le jour où la navette Endeavour revient sur terre. Et on espère sincèrement qu'elle va pas nous péter ça en direct au retour, parce qu'avec le new age ambiant qui joue par-dessus, ce serait vraiment bizarre et de très mauvais goût.

3 commentaires:

Ohm a dit…

Tous aux navettes ou on finira en beauté vu que la collision de notre galaxie avec celle d’Andromède dans 3 milliards d’années s'annonce hyperesthetique.
http://www.youtube.com/watch?v=PrIk6dKcdoU
Aussi, humour rétro-futuriste involontaire, la nouvelle galaxie résultante a un mon de produit alimentaire périmé: Milkomeda

Doctorak, go! a dit…

Dans 3 milliards d'années, je me demande combien de fois le techno ambiant va être revenu à la mode. 4 fois ou 500 millions de fois?

Ohm a dit…

J’espère que le techno et la vodka-canneberge continuent d’exister juste ici, genre Mtl + régions, et qu’en réalité on est les seuls à entendre la soundtrack weird de Soma. Mettons que quand les oiseaux de février arrêtent pas de brailler, pis que t’sais le frisson des choses est over sinistre, pis qu’en plus fuck tous les étangs gisent gelés, ben c’est normal de penser qu’on spinne dans même craque spatiotemporelle depuis 50 ans pis que tout est toujours pareil.